Imprimé depuis le site Archives du Formindep / publié le dimanche 13 novembre 2016

Le "Moi" sans tabac

La cigarette est une part si importante de l’identité du fumeur, de son Ego, que son abandon demande un long travail de maturation. La politique officielle soutenue par l’OMS est plus anti-fumeurs qu’anti-tabac. Ses manifestations spectaculaires pourraient être plus nuisibles qu’utiles aux fumeurs qui voudraient sortir de leur dépendance.

En 1988, l’OMS a choisi le 31 mai pour que soit tenue chaque année une "Journée mondiale sans tabac". Pour organiser les "Journées de la dépendance tabagique", je cherchais des orateurs parlant français. Chic ! le Docteur Marc Danzon était français, et directeur de l’OMS pour l’Europe ! Et il a accepté de présider une de nos Journées !

J’en ai profité pour lui suggérer que cette journée mondiale pourrait constituer le premier pas d’un fumeur vers une démarche d’abandon de la cigarette, avec un slogan du genre "Vous vous croyez incapable d’arrêter de fumer ? Essayez 24h. Vous saurez où vous en êtes".

J’aurais dû prévoir que je ne susciterais qu’à peine un intérêt poli. La liste des thèmes des Journées mondiales sans tabac est édifiante [1]. Les spécialistes de santé publique et les politiques qu’ils inspirent ne s’intéressent absolument pas à la détresse des fumeurs. Ce ne sont que bons conseils, méthodes de sevrage (où pointe le nez de l’industrie pharmaceutique), "le tabac tue" (ce que les fumeurs savent le mieux), le tabac est mortel sous toutes ses formes (pan sur le snus suédois !), haro sur l’industrie du tabac. C’est aussi le paradoxe entre deux thèmes contradictoires : "Augmenter les taxes sur le tabac (2014)" et "Eliminer le commerce illicite des produits du tabac (2015)". Les fumeurs ne peuvent ressentir cette politique que comme purement répressive et stigmatisante. Quant aux journées elles mêmes, ce ne sont qu’affiches censées détourner les jeunes de la cigarette ("Le tabac, c’est plus ça"), faire peur du cancer, organiser des séances d’évaluation avec des CO-testeurs, des courses à pied et des lâchers de ballons comme dans mon hôpital. Bof…

Alors la même "bande au Professeur Nimbus" comme chantait Brassens continue de sévir avec le "Mois sans tabac". Si une journée peut à la rigueur être un challenge acceptable pour un fumeur, un mois, c’est l’Everest sans oxygène ! Proposer un objectif irréalisable témoigne d’une grave incompétence. C’est enfoncer le fumeur dans son désespoir, au lieu de lui proposer une sortie. La cigarette est une énorme composante de son identité. Sans elle, il se sent comme nu dans un milieu hostile. Quelle ignorance de la psychologie élémentaire ! L’idée d’un "Moi" sans tabac ne peut être une simple gageure, une sorte de compétition. C’est un lent travail intérieur de reconstruction que doit opérer le fumeur sur lui-même, jusqu’à ce qu’il puisse penser que la séparation sera presque indolore et naturelle [2]. Mais ce n’est évidemment pas le but recherché par l’OMS. Mondiale ou pas la politique antitabac qu’elle soutient n’est en fait qu’une politique anti-fumeur [3]. Et de plus personne n’a envie de voir le fumeur s’arrêter, pas même, et surtout pas lui-même. C’est un tel pactole pour l’industrie tabagière et pharmaceutique et pour Bercy, ainsi qu’une raison de vivre pour les puritains de tous poil, et pour ceux qui enfourchent leurs dadas dans leur intérêt personnel.

Robert MOLIMARD


[2Molimard R. Petit manuel de défume. Se reconstruire sans tabac. Ed.De Borée

[3Falomir, J. M., Mugny, G. Société contre fumeur, Une analyse psychologique de l’influence des experts.
(2004) Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble