L’aversion inexpliquée des media pour les affaires de l’Union Européenne laisse le champ libre à tous les lobbies pour façonner les lois européennes.
Petit tour d’horizon de trois projets en cours, dont vous n’avez entendu parler nulle part, et qui pourraient être lourds de conséquence pour la santé des Européens.
A tout seigneur, tout honneur. Le projet de loi français abandonné, les media nationaux ont poussé un cri de victoire et d’autosatisfaction. C’était clairement prématuré, car un projet de directive européenne tout aussi liberticide est en préparation, destiné à aplanir le terrain pour l’accord commercial transatlantique.
Dans le champ de la santé, la commission marché intérieur (IMCO) prévoit notamment que les informations délivrées aux autorités sanitaires pour l’autorisation et le suivi d’un produit pharmaceutique, chimique ou alimentaire, soient couvertes par le “secret des affaires”.
Rappelons que le laboratoire Abbvie s’exprimait ouvertement sur le fait que les données de pharmacovigilance relevaient selon lui du “secret commercial”.
Circonstance aggravante : la rapporteure pour la commission des lois (JURI) du Parlement Européen, la française Constance Le Grip (PPE-UMP) souhaite une discussion en trilogue et non en assemblée plénière, pour “gagner du temps”. Une procédure à marche forcée et peu démocratique, dans laquelle le texte est négocié à huis clos entre quelques représentants du Parlement, du Conseil, de la Commission (qui n’a pourtant aucun rôle législatif), et soumis sans possibilité de modification au Parlement Européen.
Pour aller plus loin, lire l’analyse du Collectif Europe et Médicament (dont le Formindep est membre) téléchargeable en fin d’article.
Cela fait des années que des représentants de firmes pharmaceutiques invitent de hauts dirigeants de l’Agence Européenne du Médicament (EMA), son directeur médical Hans-Georg Eichler en particulier, à étudier la possibilité de contourner la procédure d’autorisation de mise sur le marché. Leurs efforts ont été couronnés de succès, puisque dans ce cadre sept projets pilotes sont en cours à l’EMA.
Cette nouvelle méthode, baptisée “adaptive licensing”, puis “adaptive pathway” ("parcours adaptatif pour le médicament" selon la traduction de l’ANSM) est une création de l’industrie pharmaceutique, développée au sein de laboratoires et groupes industriels comme le NEWDIGS, le CIRS, l’Athenaeum group, le Tapestry Network. Ses objectifs ? “répondre à la demande pressante des patients d’un accès rapide aux innovations” mais surtout, du propre aveu de ses promoteurs, “de-risk drug development” (éliminer le risque de développement des médicaments).
Son principe ? Une mise sur le marché anticipée, dès l’observation d’une indication limitée de rapport bénéfice/risque positif, sur un sous-groupe ou un critère secondaire. Puis collecter dans la “vie réelle” (c’est-à-dire en ouvert, sans randomisation, en dehors du cadre rigoureux d’un essai, par bases de données épidémiologiques interposées) des données permettant de justifier a posteriori l’AMM et son éventuelle expansion. En clair, expérimenter sur la population.
La réglementation européenne ‘essais cliniques’ adoptée en avril 2014 établissait le principe de la publicité des données des essais cliniques. La proposition de règlement de l’EMA prise pour implémenter cette publication démontre une fois encore que l’EMA joue contre les citoyens, y compris contre la loi : le protocole des essais, les fiches d’information destinées aux patients, autant de documents pouvant relever selon l’EMA, et au gré du laboratoire, de l’exception du “secret commercial” et qui ne seraient donc pas publiés. Il en irait de même pour les données individuelles, mêmes anonymisées. Par ailleurs, l’EMA crée de toute pièce une classification extrêmement complexe des documents, permettant de prolonger de 10 années leur non publication. L’EMA démontre encore une fois son degré de capture par les intérêts industriels, n’hésitant pas à aller ouvertement à l’encontre de la volonté du législateur comme de l’exécutif européens en rendant impossible la réanalyse indépendante des essais cliniques menés par les laboratoires. Une analyse qui, lorsqu’elle a été menée (cf. Acomplia) a démontré les insuffisances de l’EMA.
Pour aller plus loin : lire la réponse du Collectif Europe et Médicament à la consultation publique organisée par l’EMA au sujet de sa politique de “transparence”, et l’ensemble du dossier transparence