Imprimé depuis le site Archives du Formindep / publié le jeudi 15 mars 2012

Tabac sur ordonnance

La cigarette X22 tuera-t-elle la poule aux œufs d’or ?

Le tabac : la poule aux œufs d’or ! Quelle catastrophe financière pour les tabagiers si le fumeur abandonnait sa cigarette ! Déjà, il meurt 10 ans trop tôt ! Cela justifiait leurs recherches pour en diminuer la dangerosité, mais ces efforts techniques touchent à leurs limites. Quelle perte de profit aussi pour l’industrie pharmaceutique !

Dans tout fumeur, il y a un désir secret d’arrêter. Il suffit de l’attiser en évoquant le cancer et l’infarctus. Si cela ne suffit pas, on suscite interdictions et stigmatisation. On sort alors du chapeau le lapin sauveur, la nicotine. Quel remède idéal, cette nicotine ! Elle berce d’illusions le fumeur, qui y retrouve certaines des sensations du tabac. Mais pour Big Pharma, le miracle est qu’elle a le don d’inefficacité . À long terme, le cheptel de clients potentiels est donc préservé. C’est merveilleux, cela dure depuis 25 ans. Quant à l’État, une politique vraiment efficace le priverait de sa rente annuelle de 13 milliards d’euros de rentrées fiscales. Il a certes en charge la santé de la population, mais il trouve que tout est très bien comme ça.

Les rats quitteraient-ils le navire ?

Tout finit par se savoir. L’engouement des fumeurs pour la nicotine et les autres médicaments de sevrage s’émousse, en dépit de la publicité et des incitations financières. Les grands noms des activistes anti-tabac, omniprésents dans les media, qui ont soutenu à bout de publications et de congrès les médicaments nicotiniques, font maintenant la moue. Voilà que Karl Fagerström découvre que la dépendance au tabac ne se résume pas à une dépendance à la nicotine, comme il l’a fait croire pendant 25 ans avec son fameux test. Un des activistes les plus féroces opposés à toute tentative de réduction du risque à fumer, le dentiste Greg. N. Connolly, professeur à la Harvard School of Public Health, cosigne un article démontrant que les substituts nicotiniques ne servent à rien [1].

Pour Fagerström, c’est clair. Il est apparu évident à ce suédois que le snus, ce tabac à sucer national, était bien moins dangereux que la cigarette, et bien plus efficace pour aider à s’en passer que les soi-disant substituts nicotiniques. Au point qu’il n’a quitté le navire "Nicotine" que pour embarquer sur le "Snus". Le cas de Connolly est plus complexe. Farouchement convaincu que la nicotine est une puissante drogue, extrêmement addictive, il aurait souhaité la voir bannir et n’acceptait son utilisation thérapeutique que du bout des lèvres. Membre du TPSAC [2], il y siégeait sous la présidence de Jonathan M. Samet, aux côtés de Neal L. Benowitz et de Jack E. Henninfield. Ces trois-là ont d’étroits liens d’intérêt avec les géants pharmaceutiques Pfizer et GSK, qui fabriquent les gommes et les patches, ainsi que le bupropion et la varénicline [3] [4].

Fondamentalement prohibitionniste, toujours obsédé par le rôle central de la nicotine dans la dépendance au tabac, Connolly est aussi très opposé au tabac à chiquer, tout comme d’ailleurs aux cigarettes électroniques [5]. En janvier 2011, il démissionne du TPSAC « pour raisons personnelles », estimant qu’il serait plus efficace hors de ce groupe, dans son combat contre l’utilisation du menthol dans les cigarettes et pour la réduction de leur teneur en nicotine [6].

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Un mystère devrait être élucidé. Comment se fait-il que l’étude de la Harvard School of Medicine n’ait été proposée pour publication au journal Tobacco Control que le 6 juillet 2011, alors que les dernières données ont été collectées en juillet 2006 ? Un tel retard dans le pays du « publish or perish » est vraiment inhabituel. Souhaitait-il retarder la rupture avec ses collègues du TPSAC que la publication d’un tel article rendait fatalement inévitable ? Quoi qu’il en soit, et bien que son étude n’ait pas été la première à aboutir aux mêmes conclusions sans avoir eu grand effet, sa notoriété, la réputation de son institution font qu’elle est une terrible torpille dans les flancs du navire "Nicotine".

Concordance de date ? Le 21 juillet 2011, BusinessWire annonçait que la FDA donnait son accord pour l’étude clinique de phase II-B d’une cigarette "X22" dans un essai d’aide à l’arrêt du tabac. Cette cigarette provient d’un tabac génétiquement modifié pour être exceptionnellement pauvre en nicotine, mis au point par la société 22nd Century Limited, fondée en 1998. Une étude préliminaire menée par le Dr Dorothy Hatsukami, de l’Université du Minnesota, membre du TPSAC, avait montré 43 % d’arrêts du tabac après 4 semaines d’utilisation. Mais les premiers résultats de la nouvelle étude ne confirment pas que l’arrêt soit plus fréquent qu’avec les cigarettes conventionnelles [7].

Depuis longtemps l’industrie du tabac pensait que les cigarettes sans nicotine pouvaient être un excellent marché. De nombreux brevets avaient été déposés pour divers procédés d’extraction, en particulier par Philip Morris. Mais les essais de commercialisation, comme celui en 1989 sous le nom de marque Next °, avaient été des échecs. Cependant les techniques d’extraction éliminaient vraisemblablement d’autres composés du tabac. C’est pourquoi j’étais très intéressé par l’avenir commercial de cigarettes sans nicotine issues du génie génétique. Leur succès m’aurait fortifié dans l’idée que le tabac contenait d’autres substances addictives que la nicotine. Or la 22nd Century Limited avait accordé la licence d’exploitation de ses brevets à la firme Vector Tobacco, qui avait commercialisé aux USA la Quest3 °. Celle-ci, ne contenait que 0,3 mg de nicotine [8]. Ce fut un flop commercial.

La nicotine seule n’explique pas la dépendance au tabac [9]. Seuls, d’autres constituants ne sont donc pas capables de la créer et de l’entretenir. Mais la nicotine est apparemment indispensable dans ce qui doit être une savante cuisine de synergie. C’est pourquoi paraît étrange l’idée de relancer la Quest3 ° sous le nom de X22, ou d’autres marques comme Magic®Export que l’on pourrait bientôt voir en France.

En fait l’objectif est très différent de celui d’une réduction du risque. L’idée est de faire de l’échec de la Quest3 ° un argument de vente pour la X22, en s’appuyant sur l’hypothèse savamment entretenue que la dépendance à la cigarette serait due à l’arrivée très rapide de la nicotine au cerveau. Bien que la X22 ait les arômes et le goût du tabac, elle ne pourrait donc être addictive du fait de sa très faible teneur en nicotine, ce qui expliquerait l’échec de la Quest3 °. On va donc faire de cet échec un argument. Voici un substitut comportemental non addictif. On pourra donc présenter cette cigarette comme un médicament de sevrage tabagique, sur prescription médicale  ! Elle sera d’ailleurs commercialisée par Hercules Pharmaceuticals LLC, une filiale de la 22nd Century, qui cherche justement un PDG ayant « une vaste expérience internationale » [10].

Pandolfino, fondateur et PDG de la 22nd Century, s’appuie habilement sur les déclarations de Connolly qui, obsédé par l’idée d’addiction à la nicotine, réclame justement que la FDA exige une réduction massive du contenu en nicotine des cigarettes à approximativement 0,3 mg, « ce que contiennent les tomates » [11]. Or le 22nd Century Group est seul capable de fabriquer une telle "VLN cigarette" [12]. Cela évoque la possibilité d’une entente entre Connolly et ce groupe cigarettier, qui fabrique par ailleurs des cigarettes tout à fait conventionnelles. Mais on n’ose croire que Connolly puisse cautionner la promotion d’un tabac fumé, générateur d’oxyde de carbone et d’hydrocarbures cancérigènes dont il connait parfaitement la dangerosité, fut-il pratiquement sans nicotine, quand en proie à un accès de puritanisme il va même jusqu’à combattre le snus et les cigarettes électroniques.

La seule raison acceptable serait qu’il soit intimement certain que l’effet sur l’arrêt du tabac serait majeur et décisif. Mais c’est un pari très hasardeux. Il me semble heureux que les résultats préliminaires présagent l’échec. On peut donc espérer qu’il va s’élever publiquement contre une telle tentative d’utilisation de son nom. Pourtant sa proposition que la FDA bannisse toutes les cigarettes SAUF celles ayant un taux de nicotine très bas laisse perplexe [13]. Les fumeurs trouveraient certainement alors la parade, soit dans les cigarettes de contrebande, soit en fumant une X22 tout en mâchant une gomme à la nicotine.

La poule me semble donc encore promise à un bel avenir. Je me souviens que dans les années 1980, l’OMS prévoyait l’éradication du tabagisme en l’an 2000. Connolly considère que les projections selon lesquelles il aurait disparu en 2050 ne le satisfont pas suffisamment. Il souhaite « voir la dernière cigarette vendue à un enfant en 2020 » [14]. On peut espérer qu’il y inclut la X22. Espérons aussi que, pour un dentiste comme lui, ce ne sera pas "quand les poules auront des dents".


[1Alpert HR, Connolly GN, Biener L. A prospective cohort study challenging the effectiveness of population-based medical intervention for smoking cessation Tobacco Control (2012). doi:10.1136/ tobaccocontrol-2011-050129

[2TPSAC = Tobacco Products Scientific Advisory Committee, branche de la FDA (Food and Drugs Administration)

[3Kesmodel D, Favole JA. FDA tobacco panel includes members with quit-smoking ties. Wall Street Journal, 1 mars 2010.

[4FDA lax on conflicts of interest. Editorial. The Boston Globe 8 mars 2010

[5Noel JK, Rees VW, Connolly GN. Electronic cigarettes : a new ‘tobacco’ industry ? Tobacco Control (2011) 20:81. doi:10.1136/tc.2010.038562

[8Il s’agit de contenu réel de la cigarette en nicotine, pas de son rendement en machine à fumer.

[12VLN = Very Low Nicotine

[13HarvardScience. The battle of the butts. Harvard Gazette, 25 février 2012

[14Connolly NG, Behm I, Healton CG, and Hillel R. Alpert HR. Public Attitudes Regarding Banning of Cigarettes and Regulation of Nicotine. American Journal of Public Health : (2012) )102, No. 4, pp. e1-e2. doi : 10.2105/AJPH.2011.300583 (Accepted on : Nov 10, 2011)