Imprimé depuis le site Archives du Formindep / publié le mardi 26 avril 2011

Images choc sur les paquets de tabac

Réouverture du Grand Guignol ?

Dès son ouverture à la Belle Époque, les foules se pressaient au théâtre de la rue Chaptal à Paris, pour frémir d’horreur, de dégoût, d’angoisse et de plaisir aux spectacles qui rivalisaient d’atrocités, dans un flot d’hémoglobine. Le Grand Guignol a fermé en 1963, ne pouvant soutenir la concurrence des films d’horreur qui arrivaient à faire beaucoup mieux. Le relais est désormais pris par les présentoirs des buralistes. [1]

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Le problème à résoudre avant de prendre de grandes mesures spectaculaires est celui de l’effet réel des images réalistes. Répulsion ou attraction ? Quelle action sur les fumeurs, qui sont les porteurs du tabagisme ? En 2000, le Canada a introduit des images-choc sur les paquets de cigarettes. Une enquête téléphonique a été menée 9 mois plus tard auprès de 611 fumeurs. Relancés après 3 mois, 432 ont répondu [2]. Un tiers (36 %) avaient cherché à se cacher les images, en changeant d’étui, mais cela n’avait modifié en rien leur tabagisme ultérieur. Peur (44 %) et répulsion (58 %) étaient les réactions émotionnelles qu’elles suscitaient. Le groupe ayant le plus fortement réagi a déclaré avoir plus fortement "diminué sa consommation, eu l’intention, ou tenté d’arrêter". La différence avec les moins émotionnés est faible (R=1,35). Elle n’est statistiquement significative que parce que la tentative d’arrêt, seul critère un peu objectif, a été mélangée dans un critère global avec des données peu fiables comme la diminution de consommation, de plus très sensibles aux effets de suggestion d’une telle étude aux objectifs déclarés. Enfin, les 30 % d’absence de réponse 3 mois plus tard peuvent constituer un tel biais de sélection qu’on ne peut accorder aucune confiance à cette statistique. Ajoutons que seule la comparaison avec un groupe semblable de fumeurs qui n’auraient pas été exposés à ces images aurait pu permettre d’affirmer leur efficacité. En l’état, le pouvoir de conviction d’une telle étude est absolument nul.

On ne trouve dans la littérature aucune autre étude sur l’efficacité. Une mise au point de 2009 à l’occasion d’entrée en vigueur de ces avertissements en Suisse conclut que ces images sont "utiles" [3]. Mais cette affirmation ne repose que sur cette seule étude canadienne ! Le titre d’une des références qu’elle cite était alléchant, laissant penser que les fumeurs prêts à s’arrêter tireraient bénéfice de ces images [4]. En fait ce travail porte, comme beaucoup d’autres, sur leur impact immédiat subjectif, leur perception, les sentiments qu’elles éveillent. On a demandé aux fumeurs si cela les incitait à s’arrêter, si cela les faisait réfléchir sur leur risque. Il en est de même d’une enquête hollandaise auprès d’adolescents [5]. Les questions induisent clairement les réponses. Aucune ne mesure l’efficacité en termes de tentatives loyales d’abandon de la cigarette. L’intention n’est pas l’action.

Une seule voix un peu dissonante s’est manifestée [6]. Demander à une population de fumeurs s’ils ont l’intention d’arrêter recueillera automatiquement un bon pourcentage de velléitaires. Les auteurs soulignent qu’il n’y a aucune preuve que l’introduction de ces avertissements ait augmenté les tentatives d’arrêt. Ils reprochent à l’équipe canadienne d’ignorer les travaux importants sur l’efficacité des communications basées sur la peur. Les fumeurs expriment une forte intention d’arrêter après les messages qui induisent la peur, car ils les espèrent efficaces. Cependant, lorsqu’on leur demande ensuite leurs priorités, celle d’arrêter de fumer devient très faible par rapport à d’autres comportements de santé. Leurs réactions déclarées sont positives, mais les réactions observées sont négatives, y compris les changements de comportement qui sont moindres chez ceux le plus à risque. Les réactions défensives ont pour but de "se libérer de la peur, pas nécessairement des menaces."

C’est tout à fait ce que j’ai retiré de mes premières expériences voici 50 ans. Si, dans une conversation de salon, on me demandait si c’était bien vrai que le tabac donnait le cancer du poumon, je n’avais aucune peine à décrire un tableau qui n’avait rien de rose. A mon étonnement, la réaction n’était pas de me demander quand et où se tenait ma consultation. En fait, une main atteignait le paquet de cigarettes dans une poche, une cigarette était allumée presque en catimini, mais quelques minutes plus tard tous les fumeurs en avaient allumée une et la fumaient à l’aise, renversés sur leur fauteuil, m’écoutant poliment discourir comme si je faisais un reportage sur des mœurs exotiques.

En fait, ce discours avait suscité leur angoisse. Pas de secours dans la médecine ! Leur seule défense était de se persuader que le cancer ne les toucherait pas, qu’ils étaient génétiquement invulnérables. Mais à quoi reconnaît-on les invulnérables ? Simple : ils peuvent fumer sans risque ! Si je crains d’en allumer une, c’est que je ne suis pas certain de mon invulnérabilité ? Alors je l’allume. Je me prouve ainsi que je me considère réellement invulnérable… et cette cigarette lève l’angoisse. Gribouille, qui se jette à l’eau par crainte de la pluie. Etudiant l’impact des images par le délai de détournement d’attention qu’elles suscitent, des auteurs allemands trouvent de plus que, chez les fumeurs de plus de 20 cigarettes, elles augmentent l’anxiété et le besoin de fumer ! [7]

Voici donc encore une de ces mesures démagogiques, populistes, qui ont d’autant plus de succès qu’elles sont moins scientifiquement fondées. C’est une agitation stérile, du bruit pour rien. Les activistes à la psychologie de café du commerce ont conscience d’avoir agi, ce qui va les satisfaire au moins pour un temps. Les hérauts de l’anti-tabagisme pavoisent et crient victoire à la télévision. Mais hélas susciter la peur est encore le plus sûr moyen d’asservir les peuples, et d’accrocher plus fortement le fumeur à sa cigarette, pour le plus grand bonheur des compagnies tabagières, de l’État et de quelques graphistes.


[1Le site http://www.hc-sc.gc.ca/hc-ps/consult/_2011/label-etiquet/messages-fra.php permet d’accéder à toute une collection d’images d’horreur canadiennes.

[2Hammond D, Fong GT, McDonald PW, Brown S, Cameron R. Adverse Outcomes : Evidence from Canadian Smokers. Am J Public Health. (2004) ;94:1442–5

[3Etter JF, Cornuz J.Les mises en garde illustrées sur les paquets de cigarettes sont-elles utiles ? Rev Med Suisse (2009) ;5:1476-9

[4Willemsen MC. The new EU cigarette health warnings benefit smokers who want to quit the habit : results from the Dutch Continuous Survey of Smoking Habits. Eur J Public Health. (2005) ;15(4):389-92

[5White V, Webster B, Wakefield M Do graphic health warning labels have an impact on adolescents’ smoking-related beliefs and behaviours ? Addiction (2008) ;103(9):1562-71.

[6Ruiter RAC, Kok G. Saying is not (always) doing : cigarette warning labels are useless. European Journal of Public Health (2005) ) ;15(3):329.

[7Loeber S, Vollstädt-Klein S, et all : The effect of pictorial warnings on cigarette packages on attentional bias of smokers. Pharmacology, Biochemistry and Behavior (2011) ;98 : 292-8.-