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La Haute autorité de santé s’apprête à réviser la recommandation de l’Afssaps de 2003 sur les stratégies d’aide à l’arrêt du tabac. Cette recommandation "de bonne pratique" a été rédigée, comme beaucoup d’autres, sur la base d’une expertise en situation incontrôlée de conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique. Le résultat en était la promotion d’interventions médicamenteuses peu ou pas efficaces, voire présentant une balance bénéfice risque défavorable.

Dans cette lettre au Président de la HAS adressée le 27 juin 2012, le professeur Robert MOLIMARD résume les connaissances scientifiques sur l’effet réel de la nicotine chez les fumeurs. Elles permettent de comprendre la nécessité d’une expertise indépendante de l’industrie pharmaceutique, pour élaborer de nouvelles recommandations fiables et aider efficacement ceux qui veulent arrêter de fumer.

Ce document exceptionnel, fruit de 35 années de recherche par le pionnier de la tabacologie en France, doit être lu et relu par les soignants et patients soucieux de connaître le rôle réel de la nicotine dans l’addiction au tabac, sa place dans l’aide à son arrêt, pour des soins de qualité libérés des influences commerciales.

On lira à la fin de cette lettre la réponse du président de la HAS.

L’intégralité de la lettre en format pdf peut être téléchargée là

Click here for english version.

Kliku tie por esperanta versio.

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Plan de la lettre :


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Objet : Actualisation des recommandations de l’Afssaps de 2003 - Note de cadrage sur l’arrêt de la consommation de tabac : du repérage au maintien de l’abstinence.

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Fournes-en-Weppes, le 27 juin 2012
A : Monsieur le Professeur Jean-Luc HAROUSSEAU
Président du Collège de la HAS
2 Avenue du Stade de France
93218 Saint Denis la Plaine Cedex

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Monsieur le Président,

L’hôpital Paul Guiraud à Villejuif où je continue d’exercer une activité bénévole m’a communiqué la note de cadrage concernant la mise à jour des recommandations de bonne pratique concernant l’aide à l’arrêt du tabac publiées par l’AFSSAPS en 2003.

Il paraît effectivement nécessaire qu’une nouvelle recommandation soit édictée, d’autant que la tendance est que ces recommandations deviennent un jour opposables aux médecins. Il est donc de la plus haute importance qu’elles soient conformes aux meilleures preuves scientifiques, et libres de toute influence commerciale, ce qui n’était pas le cas de la recommandation 2003.

En tant que membre du conseil d’administration du Formindep et responsable de ce qui concerne le tabagisme, je suis mandaté par son président pour vous faire part de mes réflexions à ce sujet.

Mon expertise personnelle

J’estime avoir une expertise particulièrement solide sur le tabac et le tabagisme :

 Clinique, puisque j’ai ouvert en 1977 à l’Hôpital de Nanterre une des
premières consultations pour les patients souhaitant s’arrêter de fumer, et continue à ce jour à l’Hôpital Paul Guiraud. J’ai toujours assuré personnellement ces consultations.
 Expérimentale. J’ai consacré l’activité de mon laboratoire de médecine
expérimentale de l’UER de Saints-Pères à Paris à des recherches sur le phénomène de dépendance au tabac et à ses composants, travaux que je continue en m’associant au laboratoire de neuro-psycho-pharmacologie du Docteur Renaud de Beaurepaire à l’Hôpital Paul Guiraud.
 Associative. J’ai fondé en 1983 la Société d’Etude de la Dépendance
Tabagique, devenue en 1990 Société de Tabacologie, selon un néologisme que j’ai proposé. Je l’ai présidée jusqu’en 2004.
 Enseignement. J’ai créé en 1986 à Paris V le diplôme "Dépendance
tabagique et Phénomènes comportementaux apparentés", que j’ai organisé jusqu’en 2009, sous le nom de Diplôme Interuniversitaire de Tabacologie à Paris XI - Paris XII. C’est, je le crois, le premier enseignement coordonné au monde sur le sujet. J’ai ouvert le site internet http://tabac-humain.com pour continuer à diffuser cet enseignement, lorsque cela ne m’a plus été possible dans le cadre de l’Université.

Cette expertise m’avait valu d’être inscrit d’office en 2003 dans le groupe de travail de l’AFSSAPS [1], présidé par le Professeur Gilbert Lagrue. Je n’ai cependant pas participé à l’élaboration de cette recommandation.

En effet, le décret d’application de l’article 26 de la loi du 4 mars 2002 (décret 2007-454 du 25 mars 2007) n’étant alors pas paru, les différents experts participant à la rédaction de ces recommandations n’étaient pas tenus de déclarer leurs liens d’intérêt. Il me semblait cependant évident que ce groupe était sous l’influence dominante de Pfizer et GSK, Pierre Fabre Santé et Novartis. Ayant eu l’expérience d’une réunion antérieure à l’AFSSAPS et de
deux à l’INPES [2] dans une ambiance analogue, j’avais parfaitement compris que mes arguments n’avaient aucune chance d’être entendus. De ce fait, la vaste étude bibliographique analysée n’a pas été soumise à une critique objective nécessaire, alors que les travaux cités sont en majorité financés par l’industrie pharmaceutique [3].

Ces recommandations paraissent donc plutôt comme le support officiel de la promotion d’un traitement médicamenteux, à l’époque essentiellement des "substituts nicotiniques". Or la note de cadrage fait expressément référence à la mise à jour de la Guideline US de 2000
 [4], et en reflète l’esprit. Compte tenu des considérables liens d’intérêts des leaders US avec les firmes pharmaceutiques fabriquant ou vendant des médicaments dits « de sevrage tabagique », j’ai
les plus vives inquiétudes concernant l’indépendance de la future recommandation.

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Le mythe de l’addiction à la nicotine

Ove Fernö, un chimiste suédois de la firme LEO raconte dans une interview la saga de la mise au point de la gomme à la nicotine, de 1967 au brevet en 1978 [5]. D’après son auto-observation, il avait la conviction que la nicotine était le facteur de la dépendance au tabac. Pourtant l’équipe de Russell à Londres se posait déjà des questions à ce sujet [6].

En fait, de simples observations pouvaient déjà mettre en doute que la nicotine seule puisse expliquer la puissante dépendance au tabac :

 Habituellement, lorsqu’un chimiste isole d’une plante addictive une molécule
active, les toxicomanes s’en emparent rapidement (morphine de l’opium, cocaïne de la feuille de coca, tétrahydrocannabinol du cannabis, etc.)
 Nous connaissons la nicotine depuis un siècle et demi, extraite, synthétisée.
Utilisée comme insecticide, nous n’avons aucune observation de son utilisation à visée toxicomaniaque.
 Dans les périodes de guerre où le tabac était rare et contingenté, nous
n’avons aucune observation d’ajout de nicotine à des cigarettes de feuilles diverses, armoise, noyer etc. utilisées comme substituts du tabac.
 Dans les mêmes conditions, aucun trafic de nicotine n’a été relaté.
 La nicotine pure peut être obtenue de firmes chimiques (Fluka) à 440 € le
litre, ce qui pour 1 € correspond à ce qu’apporteraient 143 paquets de cigarettes. Aucune "drogue" n’est accessible à un prix aussi bas.

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Justification des formes galéniques de nicotine

La nicotine est un produit naturel depuis longtemps décrit, tout comme ses procédés d’extraction ou de synthèse. Rien de ce qui la concerne n’est donc plus brevetable. Son prix est extrêmement faible par rapport à la dose toxique. Les compagnies pharmaceutiques ayant en vue une commercialisation devaient donc faire face à un problème de rentabilité. Comprimés ou solutions de nicotine à ingérer étaient des formulations simples peu onéreuses, exposées sans protection à la concurrence. Il fallait absolument augmenter le
"cadre de prix". La solution vint de l’exploitation de l’effet de premier passage hépatique . L’argument est que la nicotine ingérée est absorbée par voie intestinale. Elle serait amenée au foie par la circulation porte, où elle est détruite avant d’atteindre la circulation générale. Elle serait donc inefficace. Il fallait donc imaginer des voies d’administration court-circuitant le foie. Les muqueuses buccale et nasale et la peau sont drainées par des veines
périphériques. Le sang gagne alors directement le coeur droit d’où, après le circuit pulmonaire que peut éviter un inhaleur, le cerveau. Ont été ainsi mis au point gommes, patches, inhaleurs, spray nasaux, brevetables et à forte valeur ajoutée. Une objection majeure est que la destruction de la nicotine ingérée par le foie n’est pas totale. On sait depuis longtemps qu’un tiers de la dose ingérée y échappe et accède directement à la circulation générale [7]. Au pH de l’organisme, un tiers de la nicotine n’est pas ionisée et très liposoluble. Elle peut suivre l’absorption des graisses par le canal thoracique, évitant le foie. Ainsi, avaler simplement 4 mg de nicotine dans un verre d’eau en apporterait 30 % dans le sang artériel, soit 1,2 mg, exactement ce que fournit une gomme à 4 mg.

On a beaucoup insisté sur les 7 à 9 secondes que met la nicotine d’une bouffée de cigarette inhalée pour arriver directement au cerveau. Un pic de nicotinémie serait ainsi renouvelé à chaque bouffée, réalisant des "shoots" cérébraux répétés de nicotine. Ils sont considérés comme d’importance capitale pour l’établissement et l’entretien de la dépendance, et expliqueraient le succès de la cigarette. Cependant, la tomographie à positrons a montré que
de tels pics n’existaient pas au niveau cérébral. La nicotine marquée s’y accumule très progressivement pour atteindre un maximum en 5 minutes environ [8]. Plus simplement, les chiqueurs ou priseurs de tabac en sont extrêmement dépendants, sans être sujets à de tels pics.

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Le développement de la nicotine commerciale

Karl Fagerström, diplômé de psychologie en 1975, travaille alors pour sa thèse avec la gomme LEO. Il propose en 1978 un test pour évaluer la dépendance des fumeurs, le FTQ (Fagerström Tolerance Questionnaire). Le titre est neutre et assez incompréhensible, mais Fagerström exprimait par ailleurs clairement que le but était de mesurer une dépendance à la nicotine, jugée expliquer la dépendance au tabac [9]. En 1983 il intègre la firme devenue Pharmacia & Upjohn. Il en est le Directeur de l’information scientifique sur les substituts nicotiniques.

Le rapport "Nicotine Addiction" [10]

Ce rapport, base de tout le développement de l’histoire des "substituts nicotiniques", est basé sur un syllogisme :
 Prémisse 1 : Le tabac cause une puissante dépendance ;
 Prémisse 2 : Le tabac contient la nicotine, poison neurotrope rare dans les autres plantes ;
 Conclusion : La nicotine est responsable de la dépendance au tabac.

Mais il s’agit en fait d’un pur sophisme. Le tabac contient tellement d’autres substances, qui peuvent agir en synergie, éventuellement avec la nicotine, qu’on ne peut tirer une telle conclusion. D’ailleurs, dans cet énorme ouvrage aux 3 200 références, on chercherait en vain un seul article montrant que l’Homme peut être dépendant de la seule nicotine. Par contre, le chapitre « Traitement » se focalise d’emblée sur le « Nicotine replacement therapy ». Or on ne disposait alors d’aucun recul sur l’efficacité de ce nouveau traitement, car la FDA venait seulement d’approuver la mise sur le marché de la gomme à 2 mg.

Mais l’affaire était lancée. Le « Test de Dépendance à la Nicotine », mis au point par Karl Fagerström, était universellement diffusé, y compris dans les recommandations 2003 de l’AFSSAPS. [11]. Il a largement
contribué à implanter l’idée que la dépendance au tabac était une dépendance à la nicotine. Cela justifiait de traiter avec un médicament qui, tout en satisfaisant le besoin du fumeur, n’avait aucun des dangers de la cigarette.

Pourtant il s’agit d’un abus sémantique manifeste car aucun des 6 items du test de Fagerström ne fait référence à la nicotine. Dans le premier test à 8 items un seul, retiré ultérieurement comme sans pertinence, se référait au rendement en nicotine des cigarettes. Une étude factorielle montrait vite que l’essentiel de la variance était expliquée par deux facteurs orthogonaux : 1 - la précocité de la première cigarette de la journée et 2 - le nombre de cigarettes fumées quotidiennement [12]. Il s’agit donc uniquement d’un test de dépendance à la cigarette. C’est ce que Fagerström lui-même, en rupture avec ses sponsors, finit par reconnaître après des années d’intoxication des esprits, en demandant que soit changé le titre de son test. [13]

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La nicotine est-elle addictive ?

C’est le centre de la question. On peut déjà noter qu’il n’existe aucun exemple d’utilisation première de la nicotine seule comme "drogue", alors que les toxicomanes sont prompts à adopter les molécules purifiées extraites des plantes dont ils sont dépendants.

La seule éventualité est celle de la persistance d’une addiction résiduelle à la seule nicotine, induite chez les ex-fumeurs par l’usage antérieur du tabac :

 Bien qu’elle ait été depuis longtemps disponible comme insecticide, nous
n’avons pas d’exemple d’utilisation de la nicotine en remplacement dans des périodes de pénurie de tabac.
 Dans des premières études sur la gomme à la nicotine contre une gomme
placebo, le pourcentage de sujets ayant arrêté de fumer qui continuent à mâcher la gomme au bout d’un an est pratiquement identique, qu’il s’agisse de gomme active ou placebo, respectivement 44 % et 42 % [14]. Deux facteurs peuvent être invoqués pour expliquer un pourcentage aussi élevé dans les deux groupes : 1 - Un tic masticatoire. 2 - La peur de reprendre une cigarette à l’arrêt de la gomme.
 Le pourcentage d’utilisation prolongée de substituts nicotiniques, chez
d’anciens fumeurs antérieurement très dépendants du tabac, est faible et discutable. Au bout d’un an, 6 % seulement continuaient à utiliser la gomme [15]. Une étude de 2007 confirme la faiblesse de ces utilisations prolongées. Sur 1 518 patients, 76 (5 %) seulement continuaient à utiliser la nicotine au bout d’un an, dont 2 % des utilisateurs de patches, 7 % de comprimés sublinguaux, 8 % de losanges, 8 % d’inhaleurs, 9 % de
gommes, et 13 % de spray nasaux [16]. Les sujets très dépendants du tabac ne manifestent donc pas une forte addiction à la nicotine, comme le montre le très petit pourcentage d’utilisateurs prolongés de patches. Lorsqu’une stimulation sensorielle est associée, ce pourcentage augmente, mais reste très en deçà de ce qu’on aurait été en droit d’attendre de la substitution de l’usage addictif d’une plante par sa molécule active seule. Au contraire, la molécule active est beaucoup plus
addictive en général que la plante originelle et en supplante même souvent l’usage.

Le phénomène de "Titration de la nicotine" est un fort argument en faveur de la recherche par le fumeur d’une dose optimale satisfaisante de nicotine. Ainsi, si l’on modifie ses cigarettes, il modifie ses paramètres de fume pour garder sa dose [17]. Les fumeurs sont capables de retirer une quantité identique de nicotine de cigarettes à faible et fort rendement [18]. Dans mon laboratoire, C. Cohen a montré qu’à rendement égal en CO et en goudrons, lors d’une consommation de deux cigarettes au même rythme en 30 minutes, les cigarettes à fort rendement en nicotine étaient fumées moins complètement que des cigarettes normales, et que les fumeurs reprenaient plus tardivement leurs propres cigarettes et les fumaient moins complètement. Ils n’appréciaient pas du tout ces cigarettes à fort rendement, qu’ils estimaient franchement aversives. Ainsi la nicotine a un effet rassasiant, mais pas récompensant [19]. Dans tous mes essais chez le rat, la nicotine s’est montrée également régulièrement aversive. On peut donc formuler l’hypothèse que le phénomène de titration, plutôt que traduisant la recherche d’une dose minimale récompensante (un effet "seuil"), traduirait plutôt un "effet plafond", limitant la consommation avant que la dose devienne aversive.

Dans l’hypothèse que le fumeur pourrait régler son absorption de nicotine à un niveau personnel optimal, il était logique de tenter d’améliorer les succès de la substitution nicotinique en adaptant la dose à celle spontanément absorbée par le fumeur, calculée à partir de la cotinine salivaire. Le résultat est absolument négatif [20].

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La nicotine est-elle efficace ?

Une grande majorité de publications s’accordent pour attribuer aux gommes à la nicotine une amélioration du succès des tentatives d’arrêt. Cependant, le pourcentage d’abstinents reste à un niveau faible. Ainsi, une méta-analyse portant sur 14 essais randomisés, trouve que, dans des consultations spécialisées, les succès comparés de la nicotine et de la gomme placebo sont respectivement de 27 % vs 18 % à 6 mois, et 23 % vs 13 % à 12 mois. Cependant ce taux de succès est beaucoup moins brillant en pratique générale 17 % vs 13 % à 6 mois, et 9 % vs 5 % à 12 mois [21].

Concernant le timbre, une méta-analyse sur 17 études (N = 5 098) lui est assez favorable, 27 % vs 13 % en fin de traitement, et 22 % vs 9 % à 6 mois. [22].

Une très large méta-analyse par le groupe Cochrane en 2008 donne des résultats également favorables, du même ordre de grandeur. Elle portait sur 40 000 fumeurs en 132 études, suivis au moins 6 mois. Pour l’ensemble RR = 1,58 (1,50-1,66), dont 1,43 pour la gomme, 1,66 pour le timbre, 1,90 pour l’inhaleur, 2,00 pour les pastilles et 2,02 pour le spray nasal. [23]. Cependant, une autre métaanalyse portant sur 7 études trouve des résultats beaucoup moins brillants. Quatre portaient sur la gomme, deux sur l’inhaleur et une laissait le libre choix. Les 2 767 fumeurs étaient traités pendant 6 à 18 mois, et suivis de 12 à 26 mois. 6,75 % seulement étaient abstinents à
6 mois, contre la moitié recevant le placebo [24].

Quelques objections majeures viennent cependant tempérer ces résultats d’études randomisées à double insu qui, pour en être favorables, restent cependant modestes, en moyenne 1,6 fois l’effet du placebo :

1 - En théorie, si le double insu était strict, les fumeurs ne devraient pas pouvoir deviner quel produit ils ont reçu dans plus de 50 % des cas. Il suffit donc de le leur demander. Or ils connaissent les effets de la nicotine et sont souvent capables de deviner juste. En fait, la qualité du double insu n’est en général ainsi pas vérifiée. [25].

2 - Comparés avec des études indépendantes, les résultats des essais financés par l’industrie sont plus souvent significatifs, avec des rapports de cotes plus importants [26]. De plus, les résultats ont tendance à être publiés dans des revues à plus large impact [27].

3 - Le biais de publication est difficilement calculable tant que les essais ne sont pas systématiquement déclarés. C’est ainsi que j’ai personnellement coordonné une étude multinationale sur un patch à la nicotine. Elle a été remarquablement réalisée par une entreprise spécialisée dans les essais cliniques (Besselaar). Les résultats n’ayant pas été favorables, le laboratoire qui avait financé l’étude ne l’a pas publiée.

De plus lorsque les "substituts nicotiniques" ont cessé d’être délivrés sur prescription médicale et ont été vendus librement "over the counter" sans prise en charge psychologique, leur efficacité n’est plus décelable après 3 mois [28]. Plusieurs méta-analyses ont étudié ce problème. Ainsi, l’une a porté sur 4 études d’essais randomisés, comparant un patch à la nicotine à un patch placebo, avec une OR de 2,5 en faveur de la nicotine. Dans quatre études comparant la prescription à l’achat "over the counter", dont deux randomisées, les résultats ne sont absolument pas homogènes. Combinés, le résultat n’est pas significatif (OR = 1,4 ; IC 95 % : 0,6-3,3). A long terme (au
delà de 6 mois), le taux d’abstinence est misérable, très inhomogène selon les études (de 1 % à 11 %) globalement à 7 % (IC 95 %: 4 % to 11 %) [29]. Une revue méthodologique des publications sur l’intérêt des substituts nicotiniques en population réelle, vendus sans ordonnance, révèle de nombreux défauts, y
compris la fourniture de substituts gratuits, l’absence d’évaluation de la qualité du double insu, et d’un suivi sérieux, ainsi que d’importantes limitations concernant les méta-analyses. Cette revue conclut que la supériorité des substituts nicotiniques "over the counter" sur l’arrêt du tabac sans aide n’est pas démontrée de façon convaincante [30].

Un aspect important est l’efficacité dans les études de cohorte. Dans un questionnaire adressé en 1998 aux participants d’une cohorte établie en 1989, 1 954 répondeurs étaient fumeurs en 1989. 36 % avaient utilisé des substituts nicotiniques, alors disponibles sans ordonnance, (10 % la gomme, 16 % le timbre, et 10 % les deux). Leur taux de succès était
de 30 %, contre 39 % chez les non-utilisateurs (p<0,01)). Les auteurs concluent que cela traduit vraisemblablement une tendance à utiliser la nicotine chez les fumeurs très dépendants qui n’arrivent pas à arrêter seuls. [31].

Une autre étude prospective de la Harvard School of Medicine a consisté à recruter par téléphone de façon aléatoire des fumeurs ayant arrêté de fumer dans les deux dernières années. Interviewés entre janvier 2001 et juin 2002, puis dans une seconde vague entre janvier 2003 et juin 2004, et enfin entre janvier 2005 et juin 2006, leur taux d’abstinence a été évalué selon qu’ils avaient ou non utilisé des médicaments nicotiniques, et éventuellement des conseils par professionnels, associés ou non. La conclusion est décevante. Aucun effet n’a été observé sur le maintien de l’abstinence, quelle que soit la
thérapeutique utilisée [32].

Les adolescents sont une population où l’efficacité d’un traitement serait d’une importance particulière. Une méta-analyse a porté sur 6 essais contrôles randomisés comportant 816 fumeurs de 12 à 20 ans. Aucune augmentation significative de l’abstinence n’a été observée, aussi bien à court terme (12 semaines) qu’avec un suivi de 26 semaines. [33].

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L’aspect financier

  • Le remboursement

Initialement, les gommes à la nicotine devaient être délivrées sur ordonnance médicale. C’était un frein considérable à leur diffusion, d’autant que l’Assurance maladie n’acceptait pas de les rembourser. C’était une attitude logique. La nicotine n’est pas un traitement du cancer du poumon, de l’infarctus ou de la BPCO. C’est donc très indirectement, de façon aléatoire et à longue échéance, qu’elle pourrait éventuellement les prévenir. Or l’assurance
maladie a toujours refusé de prendre en charge la prévention, qui porte sur de grandes populations, et est de ce fait particulièrement onéreuse. Elle considère que c’est du ressort des politiques de santé publique.

Faute de pouvoir obtenir ce remboursement, les firmes pharmaceutiques ont fait pression pour que la nicotine puise être obtenue sans ordonnance, arguant du fait qu’il était illogique de pouvoir l’acheter sans contrôle ni limite sous forme de tabac. Ayant eu gain de cause, elles étaient dès lors autorisées à faire de la publicité dans les media pour ces produits, ce qui est interdit pour les médicaments de prescription. Mais, malgré des campagnes télévisées intenses, alors que nul n’a été besoin de publicité à la télévision ou sur les culs-de-bus pour que les héroïnomanes découvrent par eux-mêmes que la codéine soulageait quelque peu leur manque, les fumeurs n’ont pas suivi. Les ventes ne se sont pas envolées, et l’efficacité générale n’a pas été accrue.

Les pressions du lobbying se sont alors faites fortes auprès du gouvernement pour contourner l’interdiction de remboursement. Les médicaments de "sevrage tabagique" ont alors été présentés comme de première nécessité, si bien que le 1er février 2007, le gouvernement a décidé d’accorder une subvention de 50 € par an et par fumeur pour lui permettre l’achat de substituts nicotiniques, portée à 150 € pour les femmes enceintes. À peine arrivée sur le marché, la varenicline a immédiatement bénéficié de cette disposition, pour n’en être retirée qu’en juin 2011 du fait de la multiplication des accidents attribués à ce produit. Evidemment, c’est l’Assurance maladie qui a été mise à contribution. Mais en dépit de ce remboursement déguisé, la publicité à continué à être diffusée, parfois sous forme masquée indirecte pour la varenicline. « Tabac, j’arrête avec mon médecin ! » était une campagne Pfizer lancée avec le partenariat de diverses sociétés savantes.

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  • La gratuité

Un pas de plus vers la prise en charge par la collectivité de ces médicaments est que les fumeurs puissent les obtenir gratuitement, aux dépens évidemment de l’Assurance maladie. Très peu de publications ont évalué l’impact de la gratuité des substituts nicotiniques sur les succès. La plus ancienne ne porte que sur 375 fumeurs. Je n’ai pu lire que l’abstract. Il ne
précise pas la répartition des groupes. L’employeur fournissait le produit. Au bout d’un an, les succès étaient de 38 % vs 27 % en faveur de la nicotine gratuite. [34]. Une large étude française a été réalisée dans les Centres
d’Examens de Santé. Deux groupes étaient constitués. Dans les 22 centres du groupe "intervention" 1 585 fumeurs (38 % des éligibles) acceptèrent d’entrer dans l’étude. Ils recevaient un document leur permettant d’obtenir gratuitement chez un pharmacien pour 3 mois de traitement par gomme ou patch au choix. Dans les 25 centres témoins, 2 597 fumeurs (45,9 % des éligibles) ne recevaient que le conseil minimal. Un questionnaire était
envoyé à domicile au bout de 6 mois pour juger de l’évolution du tabagisme. 26 % des questionnaires ont été retournés dans les 2 groupes, faisant état d’un arrêt du tabac dans 29,9 % du groupe intervention et 10,3 % du groupe témoin. [35]. C’est une étude ouverte de l’effet des médicaments nicotiniques comparativement à un groupe témoin ne recevant que de conseils. Les succès sont tout à fait comparables à des études analogues, voire à certains essais contre placebo. Cette étude n’analyse en aucune façon l’effet de la gratuité, et ne peut plaider en sa faveur. Construire un protocole expérimental qui ne prête pas à critique
sur un tel sujet est quasi impossible. Une approche différente a cependant été réalisée. L’hypothèse était d’approvisionner en patches gratuits pour des traitements variant de 2, 4, 6 et 8 semaines des fumeurs suffisamment motivés pour avoir appelé une ligne téléphonique d’aide à l’arrêt. Un contact téléphonique après 12 mois jugeait du résultat. Aucune relation entre la dose et les succès n’a été observée. Les auteurs reconnaissent qu’aucune conclusion ferme ne peut en être tirée et que des études ultérieures seraient nécessaires [36].

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Les effets de la nicotine

Il apparaît clair que la nicotine n’est pas l’unique facteur de la dépendance au tabac. Mais ce n’est pas une molécule inerte, et certains fumeurs peuvent tirer partie de ses effets pharmacologiques, sans pour autant créer une dépendance, tout en étant un facteur capable de l’entretenir.

  • La glycémie

La nicotine augmente rapidement la glycémie en mobilisant le glycogène hépatique par son action adrénergique. Par voie humorale, elle libère de l’adrénaline par action directe sur la médullosurrénale. Par voie nerveuse, en stimulant le neurone sympathique post ganglionnaire qui émet les nerfs glucosécréteurs hépatiques. Ainsi, la première cigarette du matin augmente la glycémie plus rapidement que le petit déjeuner. C’est ce que confirme l’étude non publiée sur un patch dont j’ai fait état. Les sujets avaient un bilan biologique à jeun le matin de la pose de leur premier patch, et un contrôle après 6 semaines de traitement. La glycémie des 80 succès n’avait alors pas varié depuis la valeur de départ, tandis que chez les 277 qui avaient repris leurs cigarettes, elle s’était accrue de 4,7 % (p<0,001). Mais, en ne considérant que les sujets qui avaient reçu le timbre placebo, la glycémie initiale des 25 succès était de 5 mOs/l, alors que celle des 101 échecs était
inférieure à 4,6 mOs/l. Tout se passe donc comme si certains fumeurs légèrement hypoglycémiques n’avaient pas supporté la privation de leur cigarette. La compensation alimentaire suscitée par les fringales est alors la seule façon d’y faire face, avec pour corollaire la prise de poids [37]. Ceci peut expliquer certains succès thérapeutiques de la nicotine, en général limités aux premières semaines d’abstinence, avant que les fumeurs retrouvent leur équilibre glycémique en reprenant une cigarette.

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  • La stimulation

Beaucoup de fumeurs disent que fumer les stimule, les maintient en éveil, les aide à travailler, physiquement et intellectuellement. C’est clairement une action stimulante de la nicotine sur le locus coeruleus [38]. A l’arrêt du tabac, certains fumeurs peuvent ressentir une diminution d’efficacité et trouver une amélioration dans la nicotine médicamenteuse. D’ailleurs des comprimés de glucose ont eu une action favorable sur le désir de fumer. [39]. Cependant une étude randomisée n’a pas démontré d’effet sur l’abstinence [40]. Ceci démontre que l’hypoglycémie n’est pas la cause de la dépendance tabagique, bien que sa correction par le glucose atténue les effets du sevrage.

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  • La relaxation

Une majorité de fumeurs déclarent que la cigarette les relaxe, ce qui paraît paradoxal, contrastant avec l’effet adrénergique de stimulation centrale, tel qu’on le voit dans le stress qui, comme ce terme l’évoque, s’accompagne au contraire d’une tension musculaire par stimulation du système réticulé descendant. Ce phénomène est connu sous le nom de « paradoxe de Nesbitt », qui a reçu de nombreuses tentatives d’interprétation, sans qu’aucune soit parfaitement satisfaisante [41]. En fait la réponse était déjà donnée bien avant la publication de Nesbitt. [42]. La nicotine
stimule directement l’interneurone de Renshaw de la corne antérieure de la moelle. La conséquence est l’inhibition de l’activité des motoneurones α qui devraient normalement répondre par une hyperactivité tonique à la contraction des fuseaux neuromusculaires sous l’influence de la stimulation réticulée par la nicotine. Il en résulte une chute du tonus musculaire, une réelle relaxation perçue par le fumeur, d’origine médullaire, contrastant avec
la stimulation centrale. Cet effet, en particulier chez les sujets stressés, peut être ressenti par le fumeur comme un bénéfice, et expliquer également des effets initiaux favorables de la nicotine au début de l’abstinence.

Cependant par son action centrale, la nicotine entretient anxiété et le stress, qui ont tendance à s’atténuer à l’arrêt de la cigarette [43].

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Nicotine et système de récompense du cerveau

La mise en évidence s’un système de récompense [44] a déclenché une foule de travaux sur les relations entre les produits générateurs de dépendance et le nucleus accumbens. En effet, pratiquement toutes les drogues connues stimulent ces structures cérébrales, de façon souvent intense. Bien entendu, on a expliqué la dépendance au tabac par le fait qu’à l’instar de autres drogues, la nicotine les stimulait, et de nombreux schémas explicatifs ont été publiés dans la presse de vulgarisation.

Cependant, la stimulation par la nicotine est très faible, comparée à l’amphétamine et la cocaïne. Il est très difficile d’obtenir des auto-administrations chez le rat, je m’y suis essayé sans succès pendant des années, alors que je les obtenais facilement avec la cocaïne. On n’y arrive que par des subterfuges, où l’on remplace par de la nicotine un renforçateur ayant déjà induit une addiction, et dans des souches de rats sélectionnés. L’extension au tabagisme humain d’un modèle où la sécrétion de dopamine dans le nucleus accumbens à partir de données animales, très variable selon l’espèce et la souche, pourrait ne pas être suffisamment justifiée [45]. Chez l’Homme en effet, les études de libération de dopamine dans le striatum sous l’influence de la nicotine ne donnent pas des résultats aussi tranchés. Il n’y a aucune différence générale de concentration de dopamine dans aucune des régions du striatum explorées sous l’influence de la nicotine. Cependant les modifications individuelles de concentration en dopamine étaient corrélées avec des sensations subjectives agréables (joie, amusement), suggérant que la dopamine puisse cependant jouer un rôle dans les effets de la nicotine [46].

A l’opposé, apparaissent comme une voie plus intéressante les effets de la nicotine sur les structures impliquées dans la réaction aux stimulus à fumer, amygdale et cortex cingalaise [47] et dans les structures de mémorisation comme l’hippocampe [48]. C’est ainsi que peuvent s’interpréter les remarquables résultats de mon ancienne thésarde C. Cohen. Ayant obtenu que des rats s’auto-administrent de la nicotine par voie veineuse, elle associa un stimulus audiovisuel à la pression du levier, mais la moitié d’entre eux ne recevaient plus de nicotine. Ne recevant que du sérum salé, ce groupe rapidement ne pressa plus le levier, démontrant que le stimulus audiovisuel ne suffisait pas à entretenir le comportement d’administration. Après un temps, elle supprima alors la nicotine dans le premier groupe. Ne recevant plus de nicotine, les rats continuèrent à presser les leviers, avec une fréquence croissante, pendant une durée supérieure à 3 mois, où elle arrêta l’expérience [49]. Ainsi la nicotine s’est montrée nécessaire pour obtenir le comportement, mais celui-ci continuait en son absence, comme si elle avait gravé en mémoire le stimulus associé. Ceci permet d’éclairer des observations, dans lesquelles les fumeurs abstinents préfèrent des cigarettes dénicotinisées à des gommes à la nicotine [50], ainsi sans doute que certains ex-fumeurs sont satisfaits par des cigarettes électroniques ne contenant pas de nicotine.

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Conclusion

Nous ne disposons hélas d’aucune médication suffisamment efficace pour faire l’objet d’une recommandation, qu’il s’agisse de la nicotine sous toutes ses formes, du bupropione (Zyban°) ou de la varenicline (Champix°). Le niveau de preuve de leur efficacité est très faible et critiquable. Les médecins sont formatés à la prescription quasi-obligatoire de ces produits par une littérature scientifique biaisée et des leaders d’opinion liés par des conflits d’intérêts, et par la demande d’une population conditionnée par les revues grand public et la
publicité. Le rôle des autorités de santé serait d’apporter une information objective à l’égard de ces produits, dont l’activité n’est guère supérieure à un effet placebo, mais avec des conséquences financières qui grèvent inutilement le budget des familles et de l’Assurance maladie. Une analyse sérieuse me semble ne pouvoir conclure qu’à un très faible rapport bénéfice/coût ou risques.

C’est pourquoi nous vous demandons, monsieur le Président, d’être particulièrement attentif à la composition de la commission et à l’objectivité et l’indépendance de ses travaux. Je dois ajouter qu’il risque de vous être difficile de trouver des experts indépendants dans le domaine du tabagisme, depuis des années soumis au marketing des firmes.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de mes sentiments les plus respectueux.

Robert MOLIMARD

.

Conformément à l’article L4113-13 du CSP, je déclare une absence de liens d’intérêts avec des entreprises et établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits. Une déclaration d’intérêts plus complète est disponible à cette page.


La réponse du président de la HAS au professeur Molimard

[(image|=={image}|et{|non}|oui) Réponse du président de la HAS au professeur Molimard ][(image|=={image}|et{|oui}|oui)

Post Scriptum :

Copie à :

Monsieur le Professeur Albert Ouazana
Président du groupe de travail
RBP Arrêt de la consommation de tabac
2 Avenue du Stade de France
93218 Saint Denis la Plaine Cedex

Monsieur Alexandre Pitard,
HAS chargé de projet
RBP Arrêt de la consommation de tabac
2 Avenue du Stade de France
93218 Saint Denis la Plaine Cedex

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