Imprimé depuis le site Archives du Formindep / publié le jeudi 6 octobre 2016

Dépistage organisé du cancer du sein : la concertation citoyenne sera-t-elle confisquée ?

Le rapport final de la concertation nationale sur le dépistage du cancer du sein est enfin publié, un mois après avoir été remis à la ministre. Rédigé de manière inédite, en synthétisant les apports d’une conférence de citoyennes, d’une conférence de professionnel.le.s de santé et d’une conférence technique, son constat est cinglant :

« La situation actuelle [qui] ne répond pas aux exigences d’information, de décision en connaissance de cause, et de validité scientifique recommandées pour proposer un dépistage à des femmes en bonne santé. » {{}}

Le rapport pointe la désinformation massive des femmes mais également des soignants, en ce qui concerne le risque réel de cancer du sein, les bénéfices du dépistage et ses risques. La communication actuelle sur le dépistage, y compris la communication officielle (brochures d’invitations au dépistage, campagnes d’information) s’apparente davantage à du marketing qu’à de l’information. Aujourd’hui, les femmes ne bénéficient pas de l’information nécessaire à une décision éclairée au moment de choisir de participer ou non au dépistage.

Le rapport constate en outre que les preuves scientifiques qui s’accumulent revoient toutes à la baisse les unes après les autres les bénéfices du dépistage. Au point de cesser de le promouvoir de façon indifférenciée auprès de toutes les femmes de 50 à 74 ans sans facteur de risque particulier ? Les rédacteurs se divisent sur ce point, et le rapport propose donc deux scénarios :

• Dans le premier, le dépistage organisé est arrêté, et chaque femme décide avec son médecin traitant des actions de prévention possibles, et de la pertinence d’un dépistage individualisé.
• Dans le second, le dépistage organisé est arrêté dans sa forme actuelle pour être « profondément revu ».

La conférence des citoyennes, formée de 25 femmes tirées au sort, s’est en effet exprimée clairement :

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A une large majorité de 75%, elles estiment qu’assigner au programme l’objectif d’une participation maximale des femmes n’est pas souhaitable [1] . On mesure la révolution : l’objectif est non plus de maximiser le taux de participation, mais de permettre une décision éclairée, que celle-ci soit de participer ou non.

Un tel changement de paradigme ne pouvait que rencontrer la résistance des institutions responsables de la situation actuelle, au premier rang desquelles l’Institut National du Cancer (INCa), qui a pour mission de maximiser la participation des femmes au dépistage, et qui a également été chargé d’organiser la concertation.

Un plan de communication de crise est mis en place. Son président Norbert Ifrah intervient sur le plateau du Magazine de la Santé de France 5 du 04 octobre , tandis que la nouvelle agence Santé Publique France publie en parfaite synchronisation un rapport écrit en collaboration avec l’INCa soulignant la « qualité » du programme de dépistage organisé. Il semble urgent d’allumer des contre-feux, car cet exercice inédit de démocratie participative en santé a largement débordé les organisateurs.
Fin de la parenthèse enchantée : l’INCa tente de confisquer la parole de la concertation citoyenne.

La lettre du président de l’INCa, qui accompagne le rapport et est censée en faire la synthèse pour la ministre, est édifiante. Norbert Ifrah y dénigre violemment le premier scénario. Il y affirme que « de l’aveu même des rédacteurs du rapport  »… celui-ci serait « très risqué, générateur d’inéquités et de pertes de chance ». Des propos dont on ne trouve nulle trace dans le rapport ! Selon le président de l’INCa, l’ « abandon du programme de dépistage » serait « un non-sens ». N’en jetez plus !

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La préférence du président de l’INCa va de toute évidence au second scénario. Mais un second scénario qu’il réécrit également à sa façon, en le réduisant à un simple ajustement des pratiques actuelles :

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On n’en retiendra donc que ce qui reste conforme à des orientations arrêtées en 2013. Comme si les avancées scientifiques de ces dernières années et cet exercice exemplaire de démocratie participative en santé n’avaient finalement pas existé.

On ne peut illustrer de façon plus limpide l’éternel conflit d’intérêts qui existe entre l’institution, arc-boutée sur ses habitudes, ses plans quinquennaux et leurs indicateurs, la défense de son image ou de son pouvoir d’une part, et l’intérêt des usagers et patients d’autre part, qui entendent réévaluer en permanence les pratiques à l’aune des avancées de la science et participer à la prise de décision.

Les citoyennes qui se sont exprimées ne doivent pas se laisser voler cet exercice inédit de démocratie participative. Il y a urgence à faire évoluer le dépistage, réellement, conformément à leurs attentes. On ne peut se contenter d’une série d’ajustements cosmétiques qui visent à maintenir le programme de dépistage sur les rails fixés en 2013, dirigé vers des objectifs quinquennaux obsolètes.


[1Avis de la conférence de citoyennes, page 13